Acerca de
LE CHEMIN DES LOUPS
Les années sont passées si vite, mais comment te le dire et comment te l’écrire ?
Hier encore, en prenant le chemin des loups, « mais si, tu le connais !», entre la bergerie d’Alexandre et le château d’eau du Carmantran, nous descendions au ruisseau avec la Tinou, ce même ruisseau aujourd’hui devenu lac.
Sur ce chemin autrefois tant redouté nous prenions la poudre d’escampette, à pied ou en véhicule improbable, carcasse de landau devenue voiture à roulettes, après avoir copieusement pillé la réserve à clous et vis du Pépé Alexandre, sans que jamais il nous en tienne rigueur, le brave homme.
Une fois arrivés au terme de notre excursion, le cœur de la tourbière devenait notre royaume imaginaire.
Nos sandales étaient couvertes de criquets et de sauterelles comme il est encore possible de le voir en gravissant le Puy Violent, à proximité de Salers.
Bienvenue dans notre jungle miniature, rencontre avec ce peuple de l’infiniment petit.
Une explosion de vie et de couleurs : les libellules pavoisaient sous leurs plus beaux atours, irisées, mordorées. Les punaises d’eau sillonnaient la surface de l’eau en toute sérénité, défiant les lois de la physique tout en maintenant un bien improbable équilibre.
Les boutons d’or nous annonçaient un bel été cacophonique, bercés par des stridulations amoureuses destinées à séduire le partenaire d’un instant.
Les joncs d’eau étaient omniprésents, tels de fiers gardiens en hallebardes protégeant des douves « sabots de vaches », toujours prompts à nous faire trébucher dans une vase suspecte,
et à retenir captifs nos pas de géants dans un bruit de succion.
Notre excursion se terminait toujours par le serpent argenté du ruisseau du Pont Aubert, sillonné en tout sens par la promesse de fritures à venir.
En remontant le fil de l’eau, nous devenions les fiers successeurs des docteurs Schweitzer et Livingstone, découverts dans les derniers numéros de Fripounet.
Un jour, un jour peut-être, un jour d’orange (hommage à Paul Eluard), le monde nous appartiendrait.
Mais pour y parvenir, il était difficile de progresser sans trébucher, entre vase, rochers et crevasses, les obstacles étaient de taille pour les marmousets que nous étions, la Michou et moi, et si par malheur nos pas mal assurés nous entrainaient dans l’eau du ruisseau, celle-ci nous transperçait comme autant d’aiguilles, tant le contraste était saisissant, entre la chaleur estivale et la main de glace nous enserrant les chevilles.
Cette terre de tous les dangers, baromètre de notre courage, ne pouvait jamais nous retenir bien longtemps, attirés que nous étions par la certitude qu’au retour à la maison, la Mémé nous régalerait d’agapes fumantes, témoignage de son amour.
Qui n’a pas entendu le beurre fuser sur le Tourtou, celui-ci ayant à peine quitté la tuile de fonte, n’a pas encore vraiment vécu.
Spectacle pyrotechnique s’il en fut, entre le foyer rougissant, les joues cramoisies d’Anna et l’odeur aigrelette émanant de son pot à levain.
Et si le grand ordonnancement de notre monde avait commencé dans cette cuisine.
JLAF